Menton et la bataille de Lépante
Corsaires barbaresques et luttes de pouvoir pour le contrôle de la Méditerranée.
Mes ancêtres, comme c'est le cas pour beaucoup d'entre nous sont issus des classes populaires.
Ils sont cependant liés à l'histoire de leur temps.
C'est le cas pour mes ancêtres de Menton du XVème et du XVIème siècles.
J'ai donc essayé de replacer leur petite histoire dans le cadre plus vaste de la grande Histoire.
Le nom de mes ancêtres est en rouge dans le texte.
Au XVème et au XVIème siécles eu lieu un affrontement pour le contrôle de la Méditerranée :
Ottomans en orient, Espagnols et barbaresques en occident, ces derniers étant sous le protectorat turc à partir du début du XVIème siècle.
La situation des forces en présence se stabilisa avec la bataille de Lépante en 1571 qui marqua l'arrêt de la progression ottomane,
et avec le traité de 1581 par lequel Philippe II d'Espagne abandonna aux Ottomans ses possessions africaines.
Durant cette période, et jusque au début du XIXème siècle les corsaires musulmans et chrétiens s'affrontèrent.
Dans l'occident chrétien, le corsaire barbaresque représenta longtemps l'archétype même du pirate méditerranéen.
Cependant, sur l'autre rive de la Méditerranée, le pirate chrétien était également redouté
et chargé d'une légende tout aussi noire dans l'imaginaire musulman.
La lutte fut donc équitable et équilibrée et non, comme le véhicule trop souvent une historiographie européo-centriste orientée,
noble et chevaleresque chez les chrétiens en lutte contre les affreux pirates barbaresques.
Des ceux côtés les prisonniers finissaient comme esclaves.
Il y en avait à Monaco, chez les Grimaldi, les Campofregoso ou les Oliva.
On en trouve même un à Menton, Carolo Faraldo, qui fut affranchi et se maria.
Il y eu aussi des mentonnais captifs, comme Bertholameo Faraldo (1504) fils de Anthonio Faraldo dit Gabin,
petit-fils de Jachobo Faraldo dit Gabin,
Furiano Dentale captif en Tunisie (1498 - 1506)
ou Johano Cravio, captif sur les galères(1485) : son père, Petro Cravio, reçut pour lui 2 ducats d'or de François de Paule.
Après la prise de Constantinople en 1453, les Ottomans étendirent rapidement leur conquête aux pays de la Méditerranée orientale,
qui, hormis Rhodes, Chypre et la Crête, passa peu à peu sous leur contrôle et se ferma à la pénétration européenne
Maîtres des détroits, les Turcs chassent les Génois de la mer Noire et de la mer Égée.
Venise perd ses positions en Grèce et se replie sur Chypre qu’elle enlève aux Lusignan en 1489.
Elle conclut avec le sultan une alliance qui lui permet, malgré tout, de continuer son commerce avec le Levant.
En 1522, Soliman le Magnifique s’empare de Rhodes et en chasse les Hospitaliers
qui se réfugient au Cap Ferrat, près de Nice, puis s'installent en 1530 à Malte, cédé par Charles Quint,
sous condition qu'ils s'opposent à l'avance ottomane.
La navigation chrétienne, refoulée vers l’ouest, est désormais harcelée par la marine turque et les corsaires maghrébins.
La péninsule ibérique une fois reconquise (chute de Grenade en 1492)
les Portugais et les Espagnols poursuivirent la reconquista
sur les côtes de l'Afrique du Nord afin d'en chasser les infidèles.
Les Portugais avaient déjà pris Ceuta en 1416.
Les premières entreprises des Espagnols ne commencèrent qu'après la chute de Grenade,
avec la prise de Mers-el-Kébir et d'Oran en 1505.
Les Espagnols s'emparèrent ensuite de Bougie et de Tripoli.
Sur un des îlots qui ont valu son nom à Alger (El Djezaïr : les îles)
ils construisirent une forteresse, le Peñon, dont les canons pouvaient battre la ville à la distance de 300 mètres.
L'Espagne devint ainsi maîtresse d'une grande partie des côtes de l'Algérie.
Contre cette menace, les potentats locaux firent appel au sultan de Constantinople pour qu'il les protégeât
et créèrent des royaumes, soumis à l'autorité des Turcs, appelés par les chrétiens Régences barbaresques.
Au commencement du XVIème siècle, parmi les corsaires barbaresques, figuraient les fils d'un potier grec de Mytilène,
qui s'étaient convertis à l'Islam : Elias, Ishak, Aroudj et Kheir-ed-Din. Ce sont les frères Barberousse (déformation de barbaros).
Aroudj créa une principauté indépendante dans l'île de Djerba. Il porta secours, sans sucés, aux kabyles de Bougie, contre les Espagnols,
puis aux habitants d'Alger : il ne put prendre le Peñon mais se rendit maître de la ville.
Il fut proclamé roi par les Turcs mais périt en 1518, contre une expédition dirigée par le marquis de Comarés, gouverneur espagnol d'Oran.
Kheir-ed-Din Barberousse lui succéda à Alger. Il fit hommage de ses états au Sultan de Constantinople, Sélim Ier,
qui lui conféra le titre de beylierbey, ou bey des beys, d'Afrique.
De 1520 à 1525 il ravage la Méditerrannée. En 1525 il occupe Bône, Constantine et Alger.
Il s'empare du Peñon en 1529, et en 1535 de Tunis, qu'il doit cependant abandonner devant la flotte de Charles Quint (400 vaisseaux).
Pour réparer cet échec, il pilla Majorque et Ibiza.
En 1536 le sultan Soliman le nomme commandant de sa marine.
Dès le début de l'occupation espagnole de l'Afrique du Nord,
les armées du roi d'Espagne firent appel aux Juifs qui étaient installés là, en particulier à Oran,
comme de précieux intermédiaires diplomatiques et commerciaux avec les populations musulmanes,
et surtout comme des interprètes indispensables.
En 1669, l'Espagne ordonnera l'expulsion de tous les juifs d'Oran.
La plupart se réfugiront à Nice, où le Duc de Savoie acceptera de les accueillir.
(Voir à ce sujet le livre de Jean Frédéric SCHAUB (1999) : Les Juifs du Roi d'Espagne ; Oran 1509 - 1669)
Le royaume de France est tellement opposé à la puissance de l'Espagne en Europe, en particulier pour le contrôle de l'Italie
(guerres d'Italie de 1494 à 1559), qu'il n'hésitera pas à s'allier avec les Ottomans.
Dès 1536, les Turcs et les Français combattent côte à côte dans l'expédition contre les Baléares et les galères turques hivernent,
pour la première fois, à Marseille, aux frais du roi de France.
Lorsque Charles Quint met en place une expédition avec 30 000 hommes en 1541 pour chasser Barberousse d'Alger,
le royaume de France soutient les musulmans. Mais cette expédition fut un désastre.
En 1521 la Savoie, alors sous protectorat français depuis 1452, s'était alliée aux Espagnols, pour faire face aux prétentions françaises sur Nice.
François Ier, qui s'est vu refuser par le Duc Charles III de Savoie le passage par ses états pour aller combattre Charles Quint
qui venait d'hériter de Milan, envahit la Savoie, prend Turin et occupe le Piémont central.
La médiation tentée par le pape Paul III entre François Ier et Charles Quint (congrès de Nice en 1538)
ayant échouée, le roi de France ordonne en 1543 a son armée, et à ses alliés turcs, de prendre la ville.
L'escadre franco-turque, forte de 180 galères, débarque avec 20 000 hommes, sous le commandement du duc d'Enghien et de Barberousse.
Un premier assaut a lieu le 2 août.
Un deuxième, le 15 août, est repoussé grâce au courage d'une lavandière, Catherine Ségurane.
Le 22 août la ville basse se rend et seul le château résiste.
L'ennemi se replie le 8 septembre, à l'approche des renforts savoyards et espagnols,
en laissant derrière lui une ville meurtrie par le pillage et la désolation.
La flotte turque se retire à Toulon où elle est autorisée à hiverner.
Au traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, la France renoncera définitivement à ses prétentions sur l'Italie,
qui sera dès lors livré sans partage à l'hégémonie espagnole.
Barberousse mourut en 1546, chargé d'honneur.
Ses successeurs continuèrent la lutte contre les Espagnols.
Le nouveau beylierbey,
Hassan Pacha, fils de Kheir-ed-Din, occupa Tlemcen et fit essuyer, en 1558, une terrible défaite aux Espagnols d'Oran,
qui ne purent garder que la ville, autour de laquelle le blocus se resserra de plus en plus.
Le corsaire Dragut, né en Anatolie de parents chrétiens, capturés par les Espagnols sur les galères desquels il passa 4 ans,
et racheté par Kheir-ed-Din, prit Tripoli aux chevaliers de Malte en 1555, et fonda la régence de Tripoli.
Hassan Pacha anéantit en 1560 l'armada espagnole de Medina Coeli, mais échoua devant Oran et Mers-el-Kébir.
En 1565, les hospitaliers de Malte repoussent le siège des Ottomans, commandés par le renégat croate Piyale Pacha
et par Dragut, qui périt lors de ce siège.
On note, dans la flotte espagnole envoyée pour secourir Malte, la présence de 3 galères aux armes de Honoré Ier, seigneur de Monaco.
Ce seront les derniers navires monégasques dans la flotte d'Espagne.
Car Honoré finit par renoncer à cet honneur qui était devenu une lourde charge sans compensation.
A partir de ce moment les galères armées par les Grimaldi de Gênes firent seules flotter dans la marine espagnole la bannière fuselée;
mais les sujets d'Honoré Ier continuèrent à servir sur ces navires.
En 1566, les la flotte ottomane, commandée par Piyale Pacha prend l'ile de Chio,
vendue autrefois par Gênes aux vénitiens Paul et Vincent Justiniani.
Le dernier beylierbey d'Afrique fut Euldj Ali (ou Ochiali) c'est à dire Ali le converti.
Né en Calabre sous le nom de Giovanni Galeni, il fut pris à 14 ans comme esclave sur les galères du Sultan,
se convertit pour recouvrer la liberté
et devint le corsaire le plus redouté de la Méditerrannée.
Il se distingua au siège de Malte, s'empara de Tunis en 1569
mais ne put prendre La Goulette, où se maintinrent les Espagnols.
En 1570 les Turcs occupent Nicosie, à Chypre, possession vénitienne
Pour résister à cette poussée ottomane et sauver Malte d'une nouvelle attaque, le pape Pie V entreprit
avec Philippe II d’Espagne, Gênes, Venise et les chevaliers de Malte les négociations qui aboutirent à la formation d'une coalition : la Sainte Ligue.
Ceci n'a été possible qu'après que la politique de compromis avec les Turcs soit abandonnée par Venise, qui ne voulait plus céder de territoires
et se sentait de plus en plus menacée en raison de l'implantation de plus en plus importante des Turcs sur les côtes adriatiques, en Dalmatie et en Albanie.
La Sainte Ligue reçu aussi la participation de la Savoie et de petits états italiens.
Quant à la France, elle s'emploie à sauvegarder ses privilèges.
L'alliance franco-turque subsiste depuis François Ier : les corsaires à la solde de Constantinople
ne peuvent plus s'en prendre aux vaisseaux du Roi et le royaume, et particulièrement Marseille,
jouit de la quasi exclusivité du commerce avec l'Afrique du Nord.
Le Roi prétexte le piteux état de son trésor pour refuser tout secours.
Don Juan d’Autriche, demi-frère de Philippe II, reçut le commandement des troupes et de la flotte chrétienne,
composées de 202 galères et 6 galéasses (108 vénitiennes, 81 espagnoles et des dépendances italiennes, 13 pontificales, 3 de Malte, 3 de la Savoie)
et de 120 000 hommes. La flotte turque, commandée par Ali Pacha, aidé des corsaires Scirrocco et Euldj Ali, comprenait 300 galères
et 88 000 hommes.
La bataille fut livrée au large de la ville de Lépante, dans le golfe du même nom, près du golfe de Corinthe
le dimanche 7 octobre 1571. Toutes les galères turques furent prises, à l’exception d’une trentaine qui purent échapper
grâce à d’habiles manoeuvres de Euldj Ali. Ali Pacha eut la tête coupée. Au total, 8 000 combattants chrétiens perdirent la vie,
21 000 furent blessés. Les Turcs perdirent plus de 30 000 hommes et eurent 8 000 prisonniers;
15 000 forçats chrétiens furent libérés de leurs fers.
Trois galères savoyardes, la Capitane, au centre, portant le fanal, la Marguerite et la Piémontaise, à l'aile droite
participèrent à la bataille, portant de nombreux niçois et 40 sospellois, sous les ordres d'André Provana de Leyni.
Si le prince Honoré Ier n'eut pas l'honneur d'assister à la bataille de Lépante, comme les annalistes de Monaco l'ont autrefois écrit,
deux galères armées par Georges Grimaldi de Gênes, beau-frère du seigneur de Monaco, y étaient présentes.
La Patrona figure à l'aile droite, portant l'insigne des Grimaldi.
La Capitana est à l'extrémité de l'aile gauche et porte le fanal.
Toutes deux sont commandées par des mentonnais.
La première a pour capitaine Lorenzo Rossi, la seconde, Jaumono Laurenti.
Les registres des décès de Menton mentionnent le nom de 8 mentonnais tués le 7 octobre 1571 à la victoire :
Monone Imberto
Berthomairo Arguina
Agostino Bosan
Bedin Gazano
France Bisado
Gio. Antonio Pachiero
Il figlio di Pocca Barba
Antonio Plesso
Parmi ceux qui revinrent, Bertholameo Pretti, chef d'une vieille famille mentonnaise,
rapporta comme un insigne trophée plusieurs armes arrachées aux vaincus.
On peut voir encore dans l'église de Menton une des piques turques, donnée par lui,
qui sert actuellement de hampe à la croix processionnelle de la paroisse.
Les vainqueurs sont tellement épuisés par la bataille qu'ils ne profitent pas de leur avantage pour attaquer Constantinople.
Les Turcs auront rapidement reconstitué leur flotte : 220 galères seront construites dans l'arsenal de Constantinople l'année suivante.
Pie V songe à reconquérir Chypre. Mais après maintes négociations entreprises fin 1571 et début 1572
avec les Etats chrétiens, il échoue dans la tentative de formation d'une seconde ligue, et meurt le 1er mai 1572.
L'Espagne fera la sourde oreille à son successeur Grégoire XIII, car elle ne veut apporter aucun secours profitable à Venise.
Don Juan d'Autriche s'empara de Tunis en 1573 mais Euldj Ali l'en chassa l'année suivante et prit même La Goulette.
« Vous nous avez rasé la barbe à Lépante, disait le grand vizir à l'ambassadeur de Venise, mais nous vous avons coupé le bras à Tunis;
la barbe repousse, mais jamais le bras ».
En 1574 Venise renonce à contester aux Ottomans la possession de Chypre contre la reprise des relations économiques avec ceux ci.
« Il semblait que les Turcs, écrit Voltaire, eussent gagné la bataille de Lépante. »
Cette bataille n'a donc apporté aucun gain immédiat aux vainqueurs. Elle eut cependant un grand retentissement dans la chrétienté car
elle mettait fin au mythe de l’invincibilité de l’Empire ottoman et confirmait l'hégémonie espagnole sur la Méditerranée occidentale,
sans que celle ci ne puisse toutefois empêcher la persistance des entreprises commerciales françaises avec le Levant et le Maghreb
et l’activité des corsaires barbaresques d’Alger, de Tunis et de Tripoli.
D'ailleurs, en 1581, Philippe II renonce à la lutte et signe avec les ottomans un traité par lequel il
abandonne toutes ses possessions africaines, à l'exception de Mers-el-Kébir, de Melila et d'Oran.
Au reste, la destruction de l’invincible Armada sur les côtes de l’Angleterre élisabéthaine en 1588
sonne le glas de l’hégémonie navale de l’Espagne. Quand disparaît Philippe II en 1598,
les Anglais et les Hollandais pénètrent en Méditerranée où, concurremment avec les Français et les Vénitiens,
ils entendent participer au commerce du Levant.
De plus, le rôle prépondérant de la Méditerranée, qui avait été l'enjeu principal de la bataille de Lépante, s'est progressivement
effacé dans les années suivantes avec l'essor des flottes océaniques qui avait commencé quelques décennies plus tôt.
La chapelle de Saint-Jacques et de Saint-Philippe de l'église Saint-Nicolas de Monaco fut, en 1548
décorée aux frais d'un monégasque, Jean Vignale qui avait fait le voyage du Nouveau Monde,
fait rare à une époque où les Espagnols ne permettaient pas l'intrusion des étrangers dans les Indes Occidentales.
Ce privilège est peut être dû au protectorat espagnol sur Monaco.
Bibliographie